Arrivé presque au terme du récit de cette épopée qui aura marqué une étape importante de ma vie, je me dois de faire un bilan en prenant une sorte d'hélicoptère et en observant les choses qui ont été agrémentées par les rencontres, les paysages et d'autres horizons.
Et heureusement...car je voulais poser une étape dans cette Alsace de ma naissance pour mesurer une distance.
Non pas une distance parcourue pour faire briller l'ego,
mais une distance qu'il reste à parcourir.
En effet, cette enfance très puissante a été vécue dans le milieu dans lequel sont nés Blanche neige et ses sept nains par exemple, ou Hansi ou d'autres personnages énormes comme l'immense Docteur Albert Schweitzer (1875-1965), Claude Joseph Rouget de Lisle (1760-1836) et sa Marsellaise, Le génie Gutenber qui fut l'inventeur de l'imprimerie, ou plus près de nous Ettore Bugatti (1881-1947) et j'en passe...(Kleber, Alain Bashung et tant d'autres....).
C'est dire la puissance terrible de cette région sur ma personnalité qui fut bâtie par ces pierres en grès de Vosges, m'ayant offert sur un plateau l'amour des mystères des profondeurs de la terre.
Mais...
Oui, il y a un "mais", et un très grand "mais"...
Cette chance n'en est peut être pas une comme on se l'imagine et comme j'y ai cru jusqu'à encore il y a quelques années, car elle est l'héritière d'un monde éminemment bourgeois. Une région très riche, bien installée dans ses pompes et ses valeurs dont, il faut le dire, une grande part de sa stabilité fut et reste encore aujourd'hui sous l'égide de l'argent. L'Alsace vit encore sous le régime du concordat par exemple ( concordat : ce régime spécifique à l'Alsace-Moselle reconnaît et organise les cultes catholique, luthérien, réformé et israélite et permet à l'État de salarier les ministres de ces cultes. À son entrée en vigueur en 1802, il reconnaissait égales les trois confessions et les religions présentes. Il est fondé sur le concordat signé en 1801 entre Napoléon Bonaparte et Pie VII), sa sécurité sociale est la seule en France qui ne soit pas en déficit par exemple : c'est bien me direz-vous...
En est-on si sûr ?
L'Alsace est riche, très riche et ce n'est peut-être pas un mal... mais si l'on veut tenter de comprendre un peu le monde, sa place dans le monde ou plus simplement de cheminer dans le monde, on s'aperçoit très vite que ce passé, ces références sont très lourdes, trop lourdes.
Alors j'aurais pu choisir de rester là enfermé dans ce confort déjà tout préparé, d'installer ma vie dans ce "meublé". J'y ai pensé lors de mon divorce et lorsque je cherchais une maison dans le pays, on me fit bien comprendre que pour moi alsacien ce ne serait pas le même tarif...on me présentait déjà des plans "retour au pays" alléchants. Et ce n'était ni ma conception de la vie ni mon but.
J'aurais pu choisir de m'installer confortablement dans des plans traditionnels - comme par exemple rejoindre une belle fanfare avec mon accordéon diatonique,
faire du folklore mais m'endormir profondément.
Car si dans mon enfance ces ambiances musicales, de costumes et de petites règles étaient authentiques, simple et nourricières, aujourd'hui elles relèvent toutes du folklore,
c'est-à-dire d'une sorte de zoo qui donne l'impression fausse d'être dans l'authentique, dans le vrai, dans la "tradition". Un immense ronron et le ronron c'est pas mon truc.
Aller ailleurs m'a appris la misère du monde, les chances que l'on a mais surtout
bouger a donné une dimension ridiculement minuscule à mes "valeurs" que je prenais comme intangibles, éternelles et très solides. On ne pouvait toucher à cela sans engendrer en moi une colère terrible, des prises de position qui sont "fourmillesques" dans la globalité de ce monde.
Ailleurs il est d'autres gens, d'autres moeurs et c'est en me libérant de ma posture d'orgueil face à la revendication de posséder l'héritage d'un Albert Schweitzer par exemple, que je me rendis compte que, tout simplement,
je n'avais pas fait un pas dans sa direction pour n'être jamais allé en Afrique.
Comme un gros con plein de vanité j'étais l'alsacien qui sortait ces images de ma poche, fier mais en fait très faible car je me cachais derrière elles. Je citais les grandes personnalités alsaciennes comme un pilier de bistrot avec sa grande gueule pleine de bière mais en restant le cul bien calé dans mon ego.
Bouger n'a pas entamé la lumière de mes sentiments, même petite, ni mes "identités". Simplement, elles ont été recadrées dans une réalité plus objective. Depuis, je joue du diato seul ou avec quelques rares personnes secrètement gardées en moi, je mange toujours ma choucroute mais commence à apprécier le renne cuit au bois...
Je suis devenu un alsacien qui est parti voir ailleurs, chaud comme un acier prêt à la forge, car l'Alsace m'a donné les fondements de mon métal : j'ai simplement pris conscience qu'il n'était qu'une barre brute devant se laisser forger par les ailleurs du monde.
Ce que ce forgeage donnera ne m'appartient plus, et elle gardera son âme puissamment alsacienne, je vais laisser d'autres mondes me donner des formes...
...Encore deux ou trois posts car je dois remercier beaucoup...