J'ai mis longtemps à comprendre que pour ne pas trop souffrir lors d'un retour de grand voyage, il est bien de revenir par le "chemin des écoliers", c'est-à-dire par un chemin doux via lequel une personne que l'on connait bien nous accompagne quelques centaines de kilomètres.
On a ainsi le temps de se placer à nouveau dans les mêmes rythmes que ceux que l'on avait quitté, sans violence, car les retours sont de plus en plus difficiles. C'est comme si l'on réintégrait un orchestre et que l'on reprenne la partition de la batterie au beau milieu d'un morceau.
Une partie de l'âme reste sur place, greffée aux impressions vécues, c'est comme une sorte d'amputation.
Ces trois dernières années j'avais beaucoup de mal à m'en remettre et ce coup là je crois avoir compris quelque chose d'important.
Bien sûr ce n'est pas généralisable et chacun réagit comme il le peut. Il en est chez qui cela n'a aucune incidence, et d'autres qui ne s'en remettent jamais...et qui partent pour la vie.
On ne le sait pas au départ, mais le voyage lointain peut générer bien des surprises ( à ce titre j'observerai avec attention les retours de ceux qui partiront en side à Irbit...)
Doux retour donc, ensoleillé, par Laguiole et en plein virage à droite, tranquillement, le panier se lève délicatement mais sûrement.
C'est là que l'expérience de la route sert à quelque chose !
Ralentissement, pas de freinage avant, juste un léché de freinage arrière et bibi qui se penche sur le panier pour le coucher.
Souris m'engueule, croyant que je fais l'imbécile.
Au même moment, une Maman nous double vitre ouverte et hurle : "votre roue arrière est à plat" !
Tudju de tudju, crevé...
Naïf - on l'est toujours dans ce cas, je sors la bombe anticrevaison...
Puis on comble le manque d'air...Souris s'y met aussi...
Je prête l'oreille, j'entends un mini pffffffffff, très léger.
Bon, on savait que les bombes sont de la daube mais là c'est certain.
Je cherche le matos tubless au fond du coffre :
oublié en pliant mes gaules à Oban !
Là je t'ai poussé la gueulante du siècle à me flageller de branches de noisetier et à me couvrir de poussière.
Souris ne se démonte pas, Caoua s'enfout : il est avec nous et croit qu'on se marre.
11h, 30 bornes jusqu'à Chaudes-Aigues, hop, on y va pénard en regonflant deux fois.
Parking en plein cagnard (11h45 à Chaudes-Aigues), garage et le mec, avé lassangue du midi te fait comprendre que tu l'emmerdes, qu'il va bouffer et que, peut-être, entre 14 et 15 heures...Garage bondé de bagnoles, le sbire t'explique qu'il ne démonte pas la roue et que tu la lui apportes si tu veux.
Retudju je te trouve le pavé du siècle qui pèse plus de 100 kg pour caler le side, il n'en pesait que 5 de colère...
Coin d'ombre, quelques pêches, une boite de sardines (que j'ai toujours avec de la vodka), j'attends 14h.
Garage rejoint à pieds avec la roue (...),fermé, le mec arrive à 15h, on répare en 5 minutes, retour à la brêle le pneu à 3 bars.
Hop.
On pourra penser ..."que j'ai eu beaucoup de problèmes lors ce ce voyage", que "je n'ai pas eu de chance" etc...
Que nenni.
Le tout fait partie du pack.
Durant des années je n'ai rien eu, aucun problème, sur plus de 150000 kms (sauf en allant à l'AG de Ural France dans le sud avec la roue du panier).
Je crois maintenant que lorsqu'on va loin, ou pas loin, on entre dans un environnement de risques évidents.
Si on ne veut endosser aucun risque, il ne faut jamais partir et rester devant sa télé.
L'assurance totale n'existe pas : c'est un leurre de notre société de consommation.
Dès lors que vous partez il VA vous arriver quelque chose et il faut vivre avec cette pensée sereinement, comme une amie. En roulant à moins 15% de nos capacités, tout le temps, en fait ce qui arrive ne sont que des petites conneries.
Prenez la route, grande ou petite.
Chaque individu perd en intensité ce qu'il acquiert en "sursécurité".
Aujourd'hui beaucoup veulent vivre des trips d'enfer sans aucun risque : il faut se réveiller, ce rêve qui n'existe pas.
Grand. Beau. Mince. Sûr. Des défauts ? Grand. Beau. Mince. Sûr...
Les voyageurs sont des êtres à qui il manque une sorte de chlorophylle qui leur permette de fixer le bonheur, ou du moins de l'associer à la synthèse de l'âge, de la mémoire, du corps et des circonstances présentes. A vrai dire cette espèce de chlorophylle fait sans doute défaut à tous les hommes...
En fait la vision que l'on a de soi est toujours approximative, c'est l'approximation qui est constante : même si l'on a plus ou moins apprivoisé notre corps, même si l'on veut bien se reconnaître quelques défauts et quelques qualités. C'est pourquoi rechercher une aventure sans problème est dès le départ une erreur.
Votre Ural ne sera jamais 100% fiable et bien des motards, en exigeant cela qui dès lors se veut, perdent un temps fou et se trompent de porte.
Avec notre Ural, nous vivons avec nos défauts comme avec les odeurs que nous portons alors que nous cherchons souvent une perfection : nous ne les sentons plus, nos odeurs ; elles n'incommodent que les autres...
Ce ne sont pas nos défauts à rechercher la fiabilité comme une condition fondamentale qui sont ridicules, mais le soin que nous prenons à les dissimuler et à feindre d'en être épargnés.
...et pour prendre la route, il suffit de passer le petit pont du vouloir tout contrôler. Derrière ce pont existe la vraie aventure, celle par laquelle on revient différent.
FIN
Merci Zupimage, un hébergeur fiable.
Merci mes amis écossais.
Merci Ural ma plus belle.
Merci mon vilo pété sans lequel je serais resté dans l'ignorance des écossais.
Merci mes aimé(e)s de me supporter.
Merci Maman de m'avoir créé fou.